En quête de mémoire

Par Caroline Veunac

La mémoire semble être un des principaux thèmes de Dollhouse. Jusqu’à présent, peu de séries avaient abordé de front ces motifs classiques que sont l’amnésie et la recherche de son identité.

Avec son histoire d’agents à qui l’on implante une nouvelle personnalité à chaque mission, avant de l’effacer de leur cerveau une fois leur boulot accompli, Dollhouse s’approprie un thème classique de la fiction : la mémoire comme pivot de l’identité. Dans les schizo Jekyll, et plus récemment The United States of Tara, les différentes facettes de la psyché des personnages sont d’ailleurs sécurisées par un sas d’amnésie. Ils ne se souviennent pas des interventions de leur double et c’est quand il y a interférence que les problèmes commencent. Dans l’univers de Joss Whedon, on voit déjà dans la mémoire programmée une métaphore possible de l’humanité virtuelle à l’ère numérique et cybernétique. Comme les avatars de Second Life ou World of Warcraft, les poupées (« doll ») de Dollhouse (voir nos premières impressions) sont parées d’attributs qui leur permettent d’être efficaces et de survivre.

Manipulation et dépossession. Différence de taille avec le jeu vidéo : leurs caractéristiques ont été choisies par d’autres et rien ne subsiste a priori de leur identité originelle. Au lieu d’offrir une extension d’elles-mêmes, la programmation se substitue à ce qu’elles sont vraiment. Ces poupées-là sont des marionnettes : par la manipulation de leur mémoire s’exerce sur elles un asservissement, et le retour du souvenir, qui se manifeste chez Echo (Eliza Dushku), devient synonyme de prise de pouvoir et de reconquête de soi. Comme son prénom le laisse entendre, à travers le coton de l’amnésie artificielle et forcée, quelque chose se répète, fait écho. Mais quoi ?
Si l’on ne peut encore que spéculer sur la suite des évènements, on sait déjà que la question sans réponse contenue dans la dépossession de la mémoire, profondément existentielle (qui suis-je, moi qui ne peux me souvenir de rien avant ma naissance ?), est un ressort fictionnel puissant. Le cinéma récent a surexploité l’amnésie sur tous les modes, du thriller psychologique (Memento, Memories) à la comédie romantique (Amour et Amnésie) et au film d’action (la saga Jason Bourne). Beaucoup de séries (à commencer par d’autres shows de Whedon, comme Buffy et Angel) l’ont utilisée comme un motif ponctuel. Dans le soap, l’amnésie s’attrape comme la grippe. Mais peu nombreuses sont finalement les séries à en avoir fait leur thématique principale. Surprenant, tant la remontée du souvenir implique la récurrence. Rappelons tout de même qu’avant d’être un bon film avec Matt Damon, The Bourne Identity avait été, en 1988, une minisérie oubliable avec Richard Chamberlain.

Se réinventer en mieux. Si elle constitue pour celui qui l’expérimente une béance angoissante, la perte de mémoire peut aussi être interprétée comme une chance de se réinventer en mieux. Ainsi les amnésiques se retrouvent-ils dotés d’aptitudes inédites et généralement hors normes : techniques de combat et maniement des armes pour Jason Bourne ou le héros de XIII ; connaissance encyclopédique dans John Doe, une série de 2002 passée relativement inaperçue dans laquelle Dominic Purcell (Prison Break) se retrouve sur une île, dépositaire du savoir universel à l’exception de celui concernant sa propre identité. Rarement accidentelle, l’absence de souvenirs, quand elle n’indique pas une nature non-humaine (l’extraterrestre de Kyle XY), est souvent le résultat d’un complot orchestré par une mystérieuse instance (avec Le Prisonnier en référence ultime) ou d’une expérimentation scientifique limite et secrète.

Ainsi dans Blank Slate, micro-série diffusée par épisode de 4 minutes sur TNT en septembre 2008, une amnésique condamnée à mort accepte d’échapper à sa sentence en participant à un programme gouvernemental destiné à résoudre des crimes en implantant chez des sujets vivants la mémoire des victimes. On attend également de voir Persons Unknown, en production chez Fox, dans laquelle sept étrangers se réveillent dans une ville déserte sans aucun souvenir et se rendent compte qu’ils sont espionnés par des caméras de surveillance.

Il n’y a guère que l’héroïne rigolote de Samantha Who ? pour perdre la mémoire tout bêtement parce qu’elle a pris un coup sur la tête. L’amnésie lui permet de remettre en jeu son identité : lorsqu’elle réalise qu’elle était une sacrée garce, elle décide de devenir une meilleure version d’elle-même. Un argument de sitcom, forcément un peu simpliste. Comme semble en effet suggérer le pitch de Dollhouse, la mémoire est tenace : peut-on jamais faire table rase ?

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