Les héros : têtes de séries

Par Pierre Langlais

Binoclards, ringards, les héros intelligents ont longtemps joué les faire-valoir asociaux. Être « intello » est pourtant devenu, avec le temps, une qualité. S’ils sont encore rarement des vedettes, les cerveaux sont devenus indispensables aux séries.
Réfléchir ou agir, il faut choisir. Pas forcément idiots, les héros de séries sont des fonceurs, des hommes d’action. On ne sauve pas le monde en lisant, on ne corrige pas les méchants en méditant sur le sens de la vie. Les bibliothèques et les salles de muscu ont rarement fait bon ménage. Aujourd’hui encore, Jack Bauer, Vic Mackey ou Clark Kent usent plus souvent de leur bon sens et de leurs bras que de leur intellect. Pour régler les questions scientifiques, informatiques ou plus généralement techniques, ils savent en revanche se faire assister, si besoin est. C’est là qu’interviennent les héros "intellos", personnages ultra codés, toujours à la limite de la caricature, marqués par leur savoir jusque dans leur vie intime et leur apparence. Cause ou effet, ils sont des héros atypiques, qui détonnent souvent avec l’univers austère, voire dangereux, qui les entourent.

Au royaume des geeks

Le style premier de la classe est un genre en lui-même. Cheveux gras, pantalons trop courts, polos élimés, grosses lunettes, les "intellos" ont longtemps joué les bouffons dans les séries télé. Asociaux, laids, régulièrement rejetés par les filles, vivants seuls ou, au mieux, entre eux, ils manifestent une palette d’ "anormalités" récurrentes, pseudo autisme génération Rain Man ou simple incompatibilité avec une société au quotient intellectuel trop bas pour eux. Incarnation caricaturale du scientifique raté, le professeur Frink, chercheur et ancien universitaire des Simpson, avec ses énormes lunettes et son zozotement, est ce qui se fait de pire dans le genre. Ses cousins les plus proches, eux, passent plus pour des crétins que pour des sages. Il s’agit du club d’échec de Sauvés par le gong, dont le membre le plus éminent reste le ringardissime Samuel "Screech" Powers, paradoxalement montré comme un abruti quand il semble avoir un penchant pour les sciences… Autre bizarrerie, as du bricolage et atout majeur de L’Agence tous risques, Looping arbore lui aussi un air demeuré et un look à faire fuir ces dames. On ne peut en dire guère plus de Lisa Simpson, pourtant une enfant au demeurant adorable, mais irrémédiablement poussée à l’écart de la société, sans style, solitaire, que même ses parents peine à comprendre. Daria Morgendorffer, elle, aurait sans doute pu s’entendre avec Lisa. Avec sa frange, sa jupe noire, sa veste verte, ses bottes informes et ses lunettes rondes, elle incarne l’intello par excellence, le cynisme en plus.

Que ce soit leur chambre, un sous-sol ou un laboratoire, les intellos ont tous leur tanière et, pour la plupart, son relativement agoraphobes. Gaius Baltar, pourtant personnage central de Battlestar Galactica, scientifique de renom, entretient même une liaison avec une femme que seul lui semble voir… Gary et Wyatt, les héros geeks de Code Lisa iront jusqu’à créer leur propre femme idéale, sorte de poupée gonflable informatiquement générée et disposant d’un Q.I taille Microsoft. La vie sexuelle des "intellos" est d’ailleurs bien souvent à l’image de leur vie sociale : désertique. Aussi sympathiques et "utiles" qu’ils soient, ces héros-là ont donc bien du mal à se faire un nom à l’ombre de leur "super" voisins…

La Neurone connexion

S’ils sont rarement très heureux dans la vie quotidienne, les héros à cerveaux sont en revanche des champions au boulot. Spécialistes en tout genre, ils n’ont pas d’égal pour fabriquer ou désamorcer une bombe, hacker sur la toile ou traquer les indices. Leur ancêtre à tous, le charme en plus, se nomme MacGyver. Sa propension à transformer tout ce qu’il touche en bombe fait de lui le symbole des bricolos surdoués. Un bon héros "intello" doit en effet savoir composer avec les moyens du bord, quitte à suivre un méchant à la trace grâce à un émetteur à base de chewing-gum et de colle Cleopatra…

L’avènement des séries types Les Experts a modifié la donne au pays des binoclards. Autrefois confidentiels, les labos se sont ouverts, son devenus sexy – entraînant une flambée des vocations dans les polices scientifiques du monde entier. Du coup, les personnages de "chercheurs", de techniciens, sont devenus indispensables. Il y a d’abord les scientifiques, laborantins hors normes, comme Abby Scuito, aussi compétente sur les centrifugeuses que sur les ordinateurs du NCIS, Diane, sa sœur jumelle médecin de Jake 2.0 ou les deux entomologistes de Bones, le Dr. Jack Hodgins, et de Preuve à l’appui, le Dr Mahesh «Bug» Vijayaraghavensatyanaryanamurthy (sic !). Il y a ensuite les pros du clavier et du débuggage de disque dur, Chloe O’Brian, la plus fidèle des alliés de Jack Bauer en tête, mais aussi Marco, jeune technicien des 4400 ou Kerensky, l’ancien espion russe de Largo Winch. Il y a enfin une foule de personnages "intellos" indéterminés, matheux comme Charlie Eppes de Numbers ou Arthur Ramsey de Threshold, chercheur comme Bob de ReGenesis ou tout simplement érudits comme Giles, mentor de Buffy. Des héros atypiques, travaillant dans des domaines parfois opposés, mais qui se rejoignent tous dans leur capacité à sortir de la masse, à se différencier, non plus seulement intellectuellement, mais aussi par leur comportement et leur apparence.

Bizarre, vous avez dit bizarre ?

Dans les séries américaines, les héros "intellos" se repèrent en effet bien souvent rapidement : ce sont les seuls qui, quand le costard est de rigueur, se promènent en jean et en basket. L’époque du pantalon en velours à fait long feu, même si Bob, de ReGenesis, ne renierait pas cette vieille école. Non, les geeks sont aujourd’hui cool, tendance. Les lunettes à écailles ont laissé la place à de jolis cadres noirs, furieusement « in ». Sans doute autant par négligence – ils ne cherchent pas à plaire, même s’ils ont, à l’image de Marco des 4400 ou de Chloe O’Brian, de plus de succès – que par confort ou goût de l’anti-conformité, ils arborent souvent, pour les hommes, les cheveux longs, voire une barbe. La chevelure bouclée de Charlie Eppes, les frisottis du Dr. Hodgins ou le catogan de Kerensky en sont trois beaux exemples. L’attribut numéro un des "intellos" reste néanmoins la paire de lunettes, les écrans et les livres fatiguant les yeux, c’est bien connu.

Certains de ces héros sont même marqués dans leur chair par leur différence. Le plus charismatique d’entre eux est une femme. Véritable second rôle star de NCIS, Abby Scuito ne passe en effet pas inaperçue avec son style gothique, ses tatouages, ces déguisements excentriques et sa tchatche hors normes. Autre phénomène, Marshall Flinkman, l’homme à tout fabriquer d’Alias, descendant direct de Q, le génial inventeur de la série des James Bond. Multipliant les blagues vaseuses, parlant seul, ce héros au physique lui aussi atypique (petit avec une grosse tête…) n’en reste pas moins un des plus sympathique personnage de la série. Arthur Ramsey, mathématicien de Threshold, est lui une personne de petite taille pour de bon. Enfin, illustration incontestable des tares dont souffrent ces héros, Bob de ReGenesis est lui carrément atteint d’une forme d’autisme dite syndrome d'Asperger, qui se manifeste par un trouble du développement psychoaffectif ayant des conséquences sur l'interaction sociale, la sensorialité et la communication. Une preuve scientifique pour étayer ce portrait de héros souvent eux-mêmes scientifiques.

Des héros riches en cerveau

Que leurs mouvements soient souvent limités à leurs laboratoires n’empêchent pas ces héros discrets de jouer les seconds rôles… de premier plan. Dans l’ombre de leurs patrons, ils sont souvent des personnages décisifs, qui permettent de débloquer la majorité des enquêtes. Ce sont eux qui trouvent la trace de doigt qui avait échappée aux autres, eux qui permettent de retrouver la piste d’un méchant en "repositionnant" un satellite, eux encore qui déchiffrent un message codé vital. Malheureusement pour eux, leur caractère effacé fait souvent oublier leur efficacité. Sauver le monde parce qu’on nous l’a ordonné n’a pas grand-chose d’excitant. Du coup, les premiers rôles eux-mêmes se sont emparés des attributs des "intellos", preuve de leur succès. On l’a dit plus haut, ce sont Les Experts qui ont révolutionné le genre (après MacGyver, cas plus isolé et plus Monsieur Bricolage de Monsieur le Professeur). La traduction française de CSI en Experts ajoute d’ailleurs du sens à l’avènement d’une série où le cerveau prime sur l’action, où l’on traque les criminels au labo. Num3ers et Bones, en associant un flic format FBI, et un expert (mathématicien pour le premier, anthropologiste pour le second), surfent sur le même concept. Jake 2.0 avait, il y a quelques années, prolongé l’idée de l’homme bionique en lui donnant un cerveau aux capacités dignes d’un super ordinateur. Une version surhumaine et futuriste des héros intelligents "à l’ancienne" comme le brillant Dr. Doogie, médecin à 15 ans ou le duo formé par le "petit génie" Quinn Mallory et le Pr. Maximilien Arturo dans Sliders.

Héros majeurs ou personnages secondaires, ceux qui utilisent leur cerveau avant leur poings sont donc de plus en plus dans l’air du temps. Si les gros bras ont toujours la cote, à l’image de Jack Bauer, ils sont de plus en plus souvent accompagnés par des experts, scientifiques ou informatiques. A l’heure du cyber-terrorisme, de l’analyse ADN et des bombes sales, même les méchants sont devenus des geeks, des "intellos" ou des spécialistes en tous genres…

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