Où sont les bimbos ?

Par Caroline Veunac

Symbolisée par Pamela Anderson en improbable garde-côte dans les années 90, la blonde à gros seins et petit intellect a peu à peu disparu de l’univers des séries, remplacée par des bombes pensantes, dotées d’un cerveau et des névroses qui vont avec.
S’il faut sans doute remonter aux années 50 et à la plantureuse Jane Mansfield pour dater l’acte de naissance de la bimbo contemporaine, c’est indéniablement Pamela Anderson et son maillot rouge de la série Alerte à Malibu (1989-2001) qui en ont fait une icône de la pop culture télévisuelle. Sous sa forme la plus pure, la bimbo c’est donc cette Marilyn dévoyée, blonde aux attributs mammaires et labiaux synthétiques et à la candeur désarmante. Une fille à calendrier, sexy dans la surenchère et terriblement inoffensive. Avant l’apparition quasi-mystique de C.J. Parker (le personnage joué par Pamela) sur les écrans du monde entier (demandez à Borat et à tous vos amis mâles l’effet que ça leur a fait), quelques autres déesses callipyges avaient généreusement inauguré le concept. Les mêmes garçons trentenaires de votre entourage vous parleront sans doute avec émotion du short en jean de Daisy Duke (Shérif fais-moi peur, 1979-85), coupé juste sous la fesse, que l’actrice Catherine Bach avait fort jolie. Serveuse dans le bar local du comté de Hazzard et cousine des héros Luke et Bo, Daisy relève davantage de la pin-up, moins outrageusement torride que la bimbo. Pas assez blonde, pas assez vulgaire, pas assez écervelée. Dans la même veine, la Jody Banks de L’Homme qui tombe à pic (1981-86) décline la mode du mini-short avec panache, tandis qu’une myriade de naïades en bikini fait de la figuration chez Magnum (1980-88) ou Deux flics à Miami (1984-89). Vouées au culte du corps et de la réussite, les années 80 ne s’embarrassent pas de nuances : l’image de la femme se résume à l’alternative entre une working girl boutonnée jusqu’au menton et une fille de plage à moitié nue.

Physique tridimensionnel

En 1992, la Canadienne Pamela Anderson vient couronner cette seconde tendance avec un talent indépassable. En une course au ralenti sur le sable fin de Malibu, où elle parvient à exhaler tout à la fois le sexe et l’innocence, elle devient reine incontestée des bimbos. Drôle de cocktail que ce corps impossible et cette voix de petite fille inconsciente de l’effet qu’elle produit sur les hommes. Toute vamp qu’elle n’est pas, C.J. Parker rallie la gent masculine, hétéros et homos confondus, à son sillage artificiel et doré. Dans Friends, Chandler et Joey sont hypnotisés par ses enjambées sur fond musical, comme des enfants de deux ans devant un épisode matinal des Télétubbies. Pour l’autre moitié de l’humanité, il y a assurément quelque chose de gonflant à se voir ainsi réduite à une figure de poupée peroxydée, faisant le tour du monde en emblème de la femme occidentale. Mais on peut aussi trouver Pamela Anderson gonflée de profiter avec autant d’aplomb de son statut de symbole sexuel. Même si, de couverture de FHM en page centrale de Playboy, la belle et les succédanées qui la remplaceront dans la série après son départ (Yasmine Bleeth, Gena Lee Nolin et autre Carmen Electra) sont autant objet que sujet de leur exploitation.

Au-delà des jugements de valeur, l’impact de Pamela Anderson et de son personnage de C.J. Parker sur l’inconscient collectif apparaît comme un symptôme de l’état des relations entre les sexes pendant les années 90. Ne nous y trompons pas : les hommes fantasment d’abord sur elle parce qu’elle est rassurante. Son physique tridimensionnel renvoie à des temps pré-féministes, où la domination masculine n’était pas encore contestée. Le corps de Pamela resexualise le monde face à l’égalitarisme en vigueur, tandis que la naïveté de la gentille C.J. (avec sa bouée rouge de garde-côte) sauve les hommes de l’angoisse castratrice que leur inspire la femme libérée. Serviable et fleur bleue, C.J. est une brave fille au corps de fille facile. Que rêver de mieux ? Mais toute iconique qu’elle soit, C.J. Parker fait figure de dernier des Mohicans dans la fiction télévisuelle. Après elle, la figure de la bimbo ne ressurgira plus que sous une forme abâtardie, sans jamais retrouver sa légèreté originelle.

Dès les années 90, la bimbo canonique est concurrencée par la bimbo forte tête, à mi-chemin entre poster pour camionneur et femme fatale manipulatrice. Les atours physiques sont les mêmes (la blondeur systématique en moins), mais ils sont mis au service d’une quête de pouvoir qui n’a rien d’ingénu. Le tailleur d’executive woman remplace le maillot de bain et la froideur calculatrice prend le pas sur la douce mièvrerie. On se souvient des décolletés pigeonnants de Valerie Malone, l’anti-Kelly Taylor qui arrive en 1994 dans Beverly Hills (1990-2000), lycéenne devenue femme d’affaires sans merci, capable de toutes les compromissions sexuelles pour assouvir sa passion des dollars. Au même moment, c’est Amanda Woodward, dans Melrose Place (1992-99) qui raccourcit ses jupes pour tenir d’une main de fer son entreprise et les hommes, nombreux, qui tombent dans ses filets. Sur un mode plus extrême, Bobbi Stakowski, dans la série Profit (1996), utilise son ascendant sexuel sur son propre beau-fils pour gravir les échelons de la reconnaissance sociale. Moins machiavélique mais tout aussi matérialiste, la Samantha Jones de Sex and the City (1998-2004), également son propre patron, collectionne les hommes comme des sex toys. Quant à la Nell Porter d’Ally McBeal (1997-2002), elle combine une apparence ultra sexy à une ambition inébranlable, qui lui valent d’être alternativement surnommée « la bombe atomique » et « la banquise ».

Dures et sulfureuses

Si elles conservent certaines caractéristiques de la bimbo, ces femmes dures et sulfureuses, qui affirment leur indépendance et affichent une condescendance hautaine à l’égard des hommes, s’éloignent notablement du modèle breveté par Pamela Anderson, dont elles sont d’une certaine manière l’antithèse. Seule contre cette armada d’amazones vindicatives, C.J. ne fait plus le poids. Pour échapper à la disparition, la bimbo n’a plus qu’à s’autoparodier, comme le fait Pamela Anderson elle-même dans la série V.I.P en 1998, ou laisser les autres s’en charger à sa place. On retiendra notamment l’assistante du président dans la série satirique That’s my Bush (2001), avec un numéro assez savoureux de ravissante idiote ; ou encore Son of the Beach (2000-02), qui pastiche directement Alerte à Malibu.

Le péril est d’autant plus grand que le troisième millénaire voit débarquer une nouvelle génération d’héroïnes : la bimbo s’est dotée d’un cerveau, elle aura désormais les névroses qui vont avec. Que ceux qui n’ont pas regardé Alias (2001-06) d’abord pour les courbes athlétiques et les lèvres pulpeuses de Jennifer Garner, avant de découvrir l’épaisseur dramatique de la série soient sanctifiés. Les combats livrés à corps et armes par la belle espionne dans des tenues souvent très suggestives ne sont pas dépourvus de sensualité, évoquant les aventures virtuelles d’une Lara Croft. Oui mais voilà, Sydney ne se contente pas de courir dans des combinaisons de latex ultra-moulantes. À ses heures perdues, elle rumine les circonvolutions sentimentales et psychanalytiques de sa destinée, bien loin de l’optimisme revigorant de notre adorable C.J. Comme ses copines Léa Parker dans la série du même nom ou Max dans Dark Angel, Sydney incarne une totalité nouvelle des principes féminin et masculin tels qu’ils étaient perçus jusque-là, conciliant force physique, résistance morale, sensualité, intelligence et sensibilité. La bimbo première version, liée à des temps plus simples, est dépassée par cet individu post-moderne qui obscurcit son horizon binaire.

Après ce changement de paradigme, les bimbos qui continuent de squatter l’univers des séries sont des êtres plus complexes, pris dans leurs contradictions. Partagées entre la tentation – ou l’obligation – d’utiliser leur plastique avantageuse pour parvenir à leurs fins, et l’aspiration à des comportements plus nobles. Alors que C.J. Parker s’ébroue dans les particules ensoleillées d’un éternel été, les nouvelles bimbos ne sont plus préservées de destins tragiques ou tourmentés. Dans Lost, la blonde Shannon, dont la frivolité cache une profonde insécurité, est tuée par les Autres dès la deuxième saison. Dans Heroes, la sculpturale Niki, contrainte de faire des strip-teases pour élever son fils, est dotée d’un don qui la dépasse et bouleverse son existence. Sans parler de Kim Bauer, kidnappée deux fois en trois saisons de 24 Heures Chrono, ou plus récemment des deux mannequins de Madame Hollywood soumises à la mise en scène sadique d’un persécuteur mystère. D’autres, comme Céline Frémont dans Plus belle la vie, perpétuent le modèle de la bimbo à poigne. Dans tous les cas, on continue à parler de bimbo pour désigner des formes voluptueuses mais l’essence du concept, faite d’insouciance et d’érotisme niais, a disparu. Il n’y a guère plus que TF1 et M6 pour exploiter cette imagerie de manière hypocrite afin d’appâter le chaland vers des fictions qui revendiquent par ailleurs un positionnement plus haut de gamme : les starlettes de Sous le soleil ou l’inénarrable Ingrid Chauvin, au générique de Suspectes. Hors séries, c’est la télé-réalité qui a repris le flambeau en assaisonnant ses concepts réchauffés de bimbos à la chaîne : Paris Hilton dans The Simple Life ou encore Bimbos et intellos, prévu cet été sur la Une.

Profane et sacré

Dans cette caste de bimbos hybrides souvent sans saveur, on retiendra néanmoins quelques personnages flamboyants, qui ont intégré le désenchantement de l’époque, ajouté des neurones à leur compteur, gagné en cynisme et en ambiguïté ; sans néanmoins se départir de l’aura d’angélisme vulgaire qui caractérise leur lignée. Dans Desperate Housewives, Edie Britt ressuscite joyeusement la bimbo sans complexe, qui lave sa voiture à grand renfort de mousse en short microscopique pour attirer l’air de rien l’attention de son beau voisin. Plus encore, c’est Nip/Tuck qui nous fournit quelques beaux avatars de bimbos assumées, à commencer par la galerie de clientes liftées-siliconées qui font le bonheur de Troy et nourrissent la réflexion de la série sur l’image de soi, les ressorts du désir physique et la vraie nature de la beauté. À partir de la saison 4, la superbe Michelle Landau incarne une version particulièrement vénéneuse de la bimbo. Mais on rendra surtout hommage à Kimber Henry, experte dans l’art de marier la fragilité d’une enfant menacée par la sauvagerie des grands fauves et la rouerie morale d’une opportuniste-née. Du profane (sa carrière dans le porno) au sacré (sa quête de spiritualité), de l’ambivalence morale à la tendresse presque maternelle, de la sexualité explicite au besoin d’être aimée, Kimber couvre un large spectre de représentations de la féminité. Avec son physique dessiné au scalpel, elle renouvelle la figure de la bimbo sans néanmoins s’y limiter.

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