Super-héros malgré eux

Par Pierre Langlais

Solitaires, blessés, dépassés par leurs pouvoirs, les super-héros, terriblement humains, sont bien souvent les victimes de leur propre destin. Simple capacité ou puissance monstrueuse, ils doivent porter leur don comme un fardeau et, tant bien que mal, en faire un atout...
On ne choisit pas de devenir un super-héros. C’est le destin, quelle que soit sa forme, accident, hérédité ou main toute-puissante d’un tiers qui enchaîne un héros à ses pouvoirs. Les super-héros modernes, ceux du cinéma et des séries, s’ils partagent avec leurs ancêtres de l’antiquité un certain goût pour la tragédie, ne sont pas des demi-dieux. Ils ne descendent pas du ciel, foudre à la main, pour imposer leur volonté sur Terre. Ils sont bien plutôt des blessés de la vie, des victimes.

Il y a d’abord les accidentés, ceux qui ont vu la lumière au bout du tunnel et qui en sont revenus transformés, comme Johnny Smith, le héros de Dead Zone, boiteux, blême, physiquement détruit par son accident de voiture, capable malgré lui de lire l’avenir ou John Doe, génial amnésique, vide à l’intérieur mais doué de tous les savoirs, dont son créateur dira, après l’annulation de la série, qu’il avait rencontré Dieu après son accident.

Il y a ensuite les êtres génétiquement modifiés, les erreurs de la science, accidentés plus humains encore, reflets des peurs et des fantasmes les plus modernes, avec des précurseurs comme Spiderman, Hulk et Flash, tous trois victimes d’accidents ou d’expériences scientifiques malencontreuses. Adaptées en séries, les aventures des deux derniers ont ouvert la voie à des personnages plus récents comme Max, l’héroïne de Dark Angel, jeune femme génétiquement modifiée, ou Jake 2.0, véritable ordinateur humain, victime de l’explosion d’un laboratoire. En 1974, Steve Austin, L’Homme qui valait 3 milliards avait popularisé le personnage de héros bionique, plus rapide et plus fort, mais encore une fois né d’un accident, en l’occurrence un crash aérien.

Il y a enfin ceux qui sont nés super-héros ou prédestinés à le devenir. Ce sont eux qu’y incarnent le mieux le poids du destin. Comme Buffy, ils sont "élus" par on ne sait trop qui, capables de remonter le temps comme Tru, l’héroïne de Tru Calling ou d’avoir des visions, comme Allison Dubois, de Medium. Ces héros là, encore plus que leurs « collègues » accidentés, ont une mission, ordonnée par une force ou un être obscur. Super-héro suprême revu par le monde des séries pour adolescents, le Clark Kent de Smallville en est l’incarnation parfaite, jeune homme ordinaire couvant en lui un Autre surpuissant, se voulant un avenir d’humain quand son père génétique, Jor-El, lui impose un destin de surhomme. Cette lutte pour le libre-arbitre, c’est aussi celle des 4400, enlevés puis renvoyés sur terre avec une mission et des pouvoirs, humains "modifiés" malgré eux, victimes d’un futur qu’ils ignorent par définition.

Pour tous ces super-héros, le pouvoir est une maladie, un cancer, une part intégrante de leur être, une force qui vit en eux, par eux, mais qu’ils peinent à contrôler. Rares sont les personnages qui voient leurs capacités décroîtrent. Bien au contraire, comme la maladie grandit, les pouvoirs augmentent sans cesse. Pour chaque exploit incroyable qu’ils permettent, ce sont autant de douleurs, de nuisances et d’efforts. Tru Davies, l’héroïne de Tru Calling, ne souhaite jamais remonter le temps. Elle ne contrôle absolument pas son pouvoir, pas plus que Hulk, que la colère transforme en indestructible géant vert. Concrètement malade, car "mal finie", Max, l’ange nocturne de Dark Angel, doit faire face aux crises à répétition que son métabolisme modifié lui fait endurer ; Jake 2.0 doit lui subir des "contrôles techniques" et des injections lui permettant de garder le contrôle de son corps. Les 4400, plus fragiles encore, meurent de leurs pouvoirs, s’autodétruisent comme les victimes de la météorite qui a transporté Clark Kent sur terre. Superman lui-même, sous l’emprise de la kryptonite rouge, devient un autre incontrôlable.

Torturés, souvent obligés de cacher leur différence, les héros souffrent de leurs pouvoirs. S’ils sont conscients de l’aide qu’ils peuvent et, semble-t-il, doivent apporter à l’humanité, ils sont bien souvent tentés de s’en débarrasser, pour redevenir de simples humains. C’est ce choix entre l’état d’Homme et celui de super-héros qui porte Smallville et Les 4400, où les personnages semblent hésiter entre une vie normale et une existence à la marge. En effet, l’univers de ces séries, et de l’ensemble de celles citées plus haut, est bien loin de tout manichéisme. Les super-héros n’y sont pas des figures admirées de tous. Ils doivent, membres plus ou moins "visibles" d’une nouvelle minorité, trouver leur place.

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