ANTHONY E. ZUIKER : Le père des Experts

17/08/1968

Le père des Experts

Parti de rien, le créateur et producteur exécutif de la série la plus diffusée du moment a révolutionné le genre policier tout en surfant sur son propre rêve américain.

Toutes les biographies d’Anthony Zuiker commencent par le même couplet, quelques lignes tristes et peu encourageantes, mais qui sentent le retournement de situation à plein nez. Elles disent l’histoire d’un type pas très bien né, sans le sou, ou presque, près de Chicago. Elles racontent son déménagement à Las Vegas, alors qu’il a à peine trois ans, les jobs successifs de sa mère, vendeuses de clopes, entre autres, la solitude de son enfance, passent à peine sur l’adolescence. Elles s’attardent ensuite sur ses premières années dans le monde du travail, ses petits jobs à lui, pour mieux souligner sa bonne fortune, puis sa fortune tout court, fondée sur une franchise, une série télé aujourd’hui mondialement célèbre, Les Experts.

Il faut dire que l’histoire de Anthony Zuiker, aujourd’hui 39 ans, trouverait aisément sa place dans le petit manuel du rêve américain. Son titre serait sans doute « le succès naît du travail, de l’humilité et d’une bonne dose de chance », le leitmotiv, en quelque sorte, de ce type rondouillard, dégarni, lunettes, barbiche et casquette, caricature de l’Américain moyen – tout du moins physiquement. Pas un scénariste né, Zuiker a passé sa jeunesse à créer des jeux, ce qui l’a, de fils en aiguilles, conduit un beau jour à Hollywood. « J’ai inventé 537 jeux de société autour du sport, de la pêche au foot, qui se jouent tous avec des dès », s’amuse-t-il encore aujourd’hui. Ca ne fera pas sa fortune. A 23 ans, un diplôme de communication de l’Université de Las Vegas en poche, Zuiker se voit forcé d’enchaîner les petits boulots, histoire de payer son loyer. Il fini conducteur du tram qui relie deux des plus grands hôtels-casinos de la ville, le Majestic et Treasure Island. Quarante secondes de trajet, puis retour, à longueur de journée. Pourtant, Zuiker a de l’ambition, il veut monter en grade. Il adresse la parole aux voyageurs, et se constitue rapidement un savoir linguistique « suffisant pour que quelqu’un finisse par se demander ce qu’un type qui sait dire bonjour et comment allez-vous en vingt langues fait à conduire un tram », explique-t-il aujourd’hui. La stratégie fait son effet : il passe bagagiste, puis est quasi immédiatement embauché au service publicitaire du Majestic.

Désormais sédentaire, il passe tout son temps libre à écrire, couche sur le papier des idées de scénarios qui ne verront jamais le jour, puis rédige quelques monologues pour un de ses amis acteurs, aujourd’hui membre de l’équipe scénaristique des Experts, Dustin Lee Abraham. En 1998, un de ses scénarios arrive enfin jusqu’à Hollywood. The Runner, une histoire de joueur mis en danger par ses dettes, qu’il vendra 35.000 dollars, ne sortira jamais sur les écrans, et finira directement au vidéo club. Il n’empêche, avec pour tête d’affiche Courteney Cox et Ron Eldard (futur héros de Blind Justice), The Runner ouvre, symboliquement, la porte du monde des séries à Zuiker. Un temps pressenti pour écrire le nouveau film de Leonardo di Caprio (alors en pleine gloire post-titanesque), il fini, pour son second contrat, par signer une biographie des Harlem Globe-trotters… une chance, puisque le film séduit Jerry Bruckheimer, déjà producteur à l’époque d’Armageddon, Top Gun et autres Jour de tonnerre, mais alors assez peu porté sur la télévision. Bruckheimer, aujourd’hui producteur des Experts, mais aussi de FBI : Portés disparus ou Cold Case, lui fait savoir qu’il travaillerait bien avec lui. Reste à trouver une bonne idée. C’est là que Madame Zuiker, la mère de ses deux enfants, entre en jeu. Un après-midi pluvieux, elle pousse son mari devant la télé, où Discovery Channel passe une de ses séries documentaires phares, The New Detectives, le quotidien d’une équipe de la police scientifique. Nous sommes alors au tournant du siècle, et les Law & Order font la loi sur le petit écran. Zuiker sent immédiatement qu’il peut renouveler le genre. Il se lance dans des recherches, suit une équipe de véritables flics scientifiques de Las Vegas, se retrouve lui-même nez à nez avec une suspecte planquée sous un lit. Dans son élan, il écrit le pilote des Experts en trois jours. Reste à Zuiker à trouver une figure pour incarner son équipe de « forensics » : ce sera William Petersen, « celui sans qui rien ne se serait fait, celui qui a vraiment changé ma vie », répète aujourd’hui Zuiker. Refusé par ABC, la série trouve preneur chez CBS. Une grossière erreur pour la première, un coup de maître pour la seconde, qui fait aujourd’hui plus du quart de ses revenus sur la franchise des Experts.

Anthony E. Zuiker ne s’arrête en effet pas au succès de ses premiers flics. Il lance, dès 2002, une seconde déclinaison du concept, à Miami, puis, après deux ans de succès conjugué des deux séries, il en créé une troisième, à New York. Si l’originale reste en tête des audiences, atteignant des chiffres records de diffusion internationale (jusqu’à 175 pays), les deux suivantes, fort de variations scénaristique (notamment dans le choix des personnages), deviennent elles aussi des blockbusters. Mieux, le monde des séries s’inspire rapidement de cette vague « experte », et les séries scientifiques pullulent, de Preuves à l’appui à Bones en passant par Numbers. Zuiker, lui, ne compte pas en rester là. Il lance des jeux vidéos, développe en livres, disques et DVD en tous genre la franchise, devient un des hommes les plus fortunés du monde de la télé, tout en étant désigné par beaucoup comme l’égal des Steven Bochco (NYPD Blue, Hill Street Blues, Commander in Chief) et autres David E. Kelley (Ally McBeal, The Practice). Désormais installé dans une vaste demeure donnant sur le golf le plus chic de Las Vegas, Antony Zuiker vit son rêve américain au maximum, se balade à cheval et donne quelques millions à des associations culturelles (un théâtre porte son nom dans son ancienne école) et à la police scientifique de Las Vegas (un juste retour d’ascenseur). Mieux, il a fini par sortir son premier jeu de société, CSI : Senses (voir à ce sujet notre article dans le numéro de décembre de Générique(s)), autre produit dérivé de « sa » franchise. Après une veine tentative de création d’un programme de télé réalité autour du rap, Ruckus, il vient de boucler le pilot d’une nouvelle série, The Man, autour du quotidien d’un agent infiltré de la police de Los Angeles incarné par le rappeur L.L Cool J. Pas de quatrième déclinaison des Experts à l’horizon. En revanche, Zuiker veut développer l’interactivité de sa série. Le 24 octobre, la première partie d’un épisode des Experts : Manhattan a été diffusée, qui se terminera seulement le 6 février. Entre temps, les fans, tout comme Mac Taylor, le héros de la série, seront invités à mener l’enquête sur Second life. Bientôt, jure Zuiker, chaque épisode permettra aux téléspectateurs de répondre aux énigmes par SMS. Une source de succès – et de revenus – supplémentaire pour celui qui lança sa carrière au volant d’un tram…

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