MARC CHERRY : L'Homme qui chérissait les femmes

14/02/2007

MARC CHERRY : L'Homme qui chérissait les femmes

23/03/1962

L'Homme qui chérissait les femmes

Marc Cherry, c’est environ une décade de galère hollywoodienne. Mais Marc Cherry c’est également un nom associé au plus grand succès 2004 de la chaîne américaine ABC. Vilain petit canard de la production pendant plusieurs années, cet ex-scénariste des "Craquantes" accède à la notoriété en traitant à nouveau d’un sujet qu’il semble maîtriser : les femmes...

Marc Cherry voit le jour en 1962 dans un foyer globe-trotter, avec un père cadre dans le pétrole. De la Californie à l’Iran, en passant par l’Oklahoma et Hong-Kong, le jeune Marc grandit en observant le voisinage, disputes de couples et ruptures incluses, se constituant un réservoir d’idées pour plus tard. De retour aux USA, Cherry participe à la chorale de son collège. Au lycée, il se distingue en arts dramatiques puis se spécialise en théâtre à la fac. Diplômé en 1985, il décide de gagner Hollywood avec 15 000 $ empochés à un jeu télévisé. Son espoir : faire une carrière dans l’écriture. De 1986 à 1988, il est d’abord assistant de l’actrice Dixie Carter sur le tournage d’un show CBS, Designing Women – en VF Femmes d’affaires et dames de cœur. Y sont contées les affres sentimentales et professionnelles de quatre héroïnes, dont deux sœurs à la tête d’un cabinet d’architecture d’intérieur. Cherry est d’ores et déjà immergé dans un univers féminin. Mais c’est une autre sitcom qui lui offre en 1990 la chance de s’atteler pendant deux ans à l’écriture et à la production : The Golden Girls (Les Craquantes). Sur la période couverte par Cherry, huit récompenses, dont un Emmy Award, gratifient ce portrait de dames âgées, veuves ou divorcées, partageant une maison de Miami. Pourtant, ces saisons 6 et 7 voient le recul de la série de la dixième à la trentième place des classements annuels Nielsen. La suite est un Golden Palace (1992-93) qui ferme au cours de sa seconde saison. The 5 Mrs. Buchanans (1994-95), créée par Cherry, où quatre belles-sœurs s’opposent à leur belle-mère commune, ne dépasse pas 17 épisodes de crêpage de chignon. Les hôtesses de l’air de The Crew (1995-96) planent une saison avant de se crasher et l’écrivain gay new-yorkais de Some of My Best Friends (Macho Man, 2001) rend page blanche au bout de huit aventures. Enchaînant flop sur flop, Cherry dégringole l’échelle sociale et subit près de trois ans de chômage.

Un ménager de moins de 50 ans

Homme au foyer hébergé par sa génitrice, il assiste un jour à un reportage sur le procès d’une Texane ayant noyé ses cinq enfants dans une baignoire. Surpris que sa très conservatrice mère comprenne le geste de cette femme, Marc Cherry en déduit que même les nids familiaux apparemment les plus idylliques ont une face cachée. Il imagine alors un nouveau script que six chaînes télé refusent, dont la très avant-gardiste HBO. Une fois son agent congédiée pour escroquerie, Cherry, suivant les conseils de son nouveau représentant, vend son projet non plus comme une satire mais comme un soap-opera à l’humour grinçant. ABC et Touchstone Television sont alors séduites et résolues à produire ce qui sera Desperate Housewives. Comme dans Designing Women et Golden Girls, on suit un quatuor d’amies. De même que pour les sitcoms et les soaps tournés en studio, les décors y ont quelque chose d’irréel ; des maisons de poupées pour les extérieurs. Enfin, tel un programme du câble, la série aborde des thématiques violentes ou osées lui valant une classification TV-PG (accord parental suggéré), voire TV-14 (accord parental suggéré pour les moins de 14 ans). De quoi trancher avec l’esthétique acidulée de la ville californienne de Wisteria Lane. Mais Marc Cherry, selon ses dires, ne renie pas tout son héritage républicain : « Ma vision des choses, sur le plan économique et de politique étrangère, est assez proche de celle de mes parents. Mais sur les questions sociales, je suis plus libéral (au sens américain) (1). » Ses choix de vie n’y sont peut-être pas étrangers. « [I]l n’y a qu’un gay pour imaginer une femme en robe longue et en talons hauts tondant la pelouse à minuit (2) ! » Un apparent grand écart qui permet à l’auteur de craqueler cet univers en sucre et de narguer ses personnages. En transformant la belle Hispanique Gabrielle (Eva Longoria) en jardinière de nuit pour éviter que son mari ne découvre son infidélité. Mais aussi en montrant la pieuse et droitière Bree (Marcia Cross), inspirée de la mère de l’auteur, déroger à ses principes pour sauver de la prison un fils qui se révèlera homosexuel. Ou en plaçant une intrigue policière en trame de fond.

Sept ans de diffusion ?

Il eût été dommage que Cherry n’alcoolise pas son cocktail, d’autant que le public l’apprécie. 21,6 millions : c’est le nombre de spectateurs devant le pilote de Desperate Housewives lors de sa diffusion en octobre 2004, battant CSI (Les Experts) sur CBS et Lost. En 2005, plus de 50 nominations concernent cette série ; son créateur est lui-même nommé pour l’Emmy de la Meilleure écriture d’une série de comédie. Voulant surfer sur le succès, NBC ira jusqu’à négocier la reprise de Five Houses, une série au concept proche amorcée en 1998. Côté situation sociale, Cherry prend l’ascenseur, quand il n’est pas au volant de la Lexus qu’il s’est offerte. Analysant la réussite de sa série, il invoque le possible voyeurisme de ses fans. « Cela est peut-être dû au désir de jeter un coup d’œil dans la vie personnelle d’autrui. Le show traite de la couche sale sous le vernis. C’est peut-être ce qui plaît à tant de gens. »
Né l’année de la mort de Marilyn, il ne s’accorde pas sept ans de réflexion pour déclarer au Philadelphia Inquirer qu’il prévoit pour sa série une durée…de sept ans justement. « C’est bien, c’est respectable. Comme ça, nous n’abuserons pas de l’hospitalité de nos hôtes, et je ne mourrai pas d’une attaque. » Tant pis si certains internautes doutent sur les forums qu’il puisse tenir la longueur au niveau scénaristique. Tant pis si Teri Hatcher en personne, qui incarne Susan Mayer, fait part de son scepticisme à cet égard, à contrario d’une Eva Longoria qui croit au potentiel de la série. Qu’importe si les critiques de USA Today et du New York Daily News égratignent la deuxième saison au bout de quatre épisodes. Cherry ne se laisse pas gagner par l’indolence. « Vous devez continuer à travailler dur pour maintenir la qualité, vous tenir au courant et être considéré comme bon. Une fois que la fraîcheur se dissipe, vous devez garder l’excellence au top » déclare-t-il au Hollywood Reporter en janvier 2006. Attelé à l’écriture d’autres projets pour Touchstone, Cherry semble être devenu un VIP. En 2005, Charlie Rose, Oprah Winfrey, Craig Ferguson ou Ellen DeGeneres le reçoivent dans leurs talk-shows respectifs. Un caméo dans son propre rôle pour un épisode d’Arrested Development, série co-écrite par un ancien scénariste des Craquantes, Mitchell Hurwitz, prouve que Cherry ne renie pas son passé. Et lorsqu’il apprend la reconduite de sa série sur ABC pour 2005-2006, il danse et pousse la chansonnette devant des journalistes, renouant avec ses hobbies scolaires.

Marc Cherry a des raisons d’être joyeux. La série reste au-dessus des 20 millions de téléspectateurs, l’audimat moyen étant plus élevé que celui de la première saison. La saison 3, tournée fin juillet 2006, est diffusée depuis l’automne aux USA. De persistantes rumeurs parlaient de l’arrivée de nouveaux personnages masculins, dont l’un incarné par Jared Leto – toujours absent du générique à ce jour. Comme si, ironie du sort, en introduisant des figures d’hommes, Marc Cherry pensait enrichir ces aventures féminines dont il a le secret.

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