KIEFER SUTHERLAND : Bauer m'a sauvé...

KIEFER SUTHERLAND (ÉTATS-UNIS) :
21/12/1966
Bauer m'a sauvé...

Il aurait du casser la baraque à Hollywood, mais Kiefer Sutherland, « fils de » déshérité et comédien surdoué, a bien failli ajouter son nom à la longue liste des ratés du cinéma. Jusqu’au jour au Jack Bauer a frappé à sa porte…

On en oublierait presque son nom. Ce type carré, légèrement dégarni, à la voix reconnaissable entre milles, ne s’appelle par Jack Bauer. A 41 ans, Kiefer Sutherland, aussi célèbre soit son nom de famille, est pourtant devenu aux yeux de toute une génération le double de l’agent de la CTU, un type qui peut, sous prétexte de vous serrer la main, vous casser le bras en deux. Peu d’acteurs avant lui se seront enfermés à ce point dans un rôle, mais Sutherland aurait tort de s’en plaindre. Avant 24, il n’était presque plus rien, un de ces has been des années 80 habitués aux petits rôles, un perdant, trop vieux pour un second souffle. Aujourd’hui, Emmy et Golden Globe en poche, il « est » 24, producteur, acteur, embarqué dix mois sur douze dans une des aventures sérielles les plus marquantes de l’histoire.

S’il est bien un de ces « fils de » dont Hollywood raffole, Kiefer Sutherland n’a pas exactement eu la vie de ses semblables. Fils de Donald Sutherland et de Shirley Douglas, deux acteurs canadiens internationalement reconnus, petit fils de politicien du côté de sa mère, Kiefer n’aura que très brièvement goûté aux vertes pelouses de Los Angeles. Né à Londres – et possédant donc la double nationalité canadienne et anglaise – élevé à Hollywood, il s’éloigne de la Californie au divorce de ses parents, alors qu’il n’a que quatre ans. Direction Toronto, avec sa mère, loin de la gloire de son père. Maman est plutôt théâtre, Kiefer s’attachera donc aux planches. Piètre étudiant, renvoyé d’écoles en écoles, il s’essaye à la comédie dès l’adolescence. A peine sait-il à l’époque que son père joue alors pour Fellini et Chabrol. En 1984, il décroche son premier rôle dans un long métrage, Bad Boy, et est récompensé par un Genie Award, version canadienne de l’Oscar. Il n’a que dix-huit ans, et déjà une réputation sérieusement accrochée à ses baskets, directement inspirée par le titre de son film. Sutherland, avec ses air dédaigneux et sa mèche blonde, joue les mauvais garçons à merveille. Trop à l’étroit à Toronto, il décide, comme un bon million de Canadiens avant lui, d’aller tenter sa chance à New York. Los Angeles est encore un peu loin, et Broadway est un tremplin doré pour qui rêve de Californie. En vain. Une année durant, il fait vache maigre, multiplie les petits jobs et les rôles d’un soir. Fatigué d’attendre, il jette ses dernières économies dans l’achat d’une voiture, et traverse le pays en direction d’Hollywood. L’histoire est un peu trop belle pour être tout à fait crédible, mais il passera, dit-on, quelques semaines à dormir dans sa voiture, se lavant tant bien que mal dans les douches publiques de la ville des anges.

Après quelques petits rôles, il décroche un rôle dans Stand By Me de Rob Reiner, avec River Phoenix et un autre futur habitué des séries télé, Jerry O’Connell. Dans la foulée, il se fait une place sur l’affiche de The Lost Boys de Joel Schumacher puis de Young Guns (cette fois-ci avec Charlie Sheen, un autre « fils de » futur pilier de sitcom). Il vient d’avoir vingt ans, et Hollywood semble prêt à le couvrir d’or. Pour parfaire le tableau de la jeune star, il se marie et devient papa d’une fille, Sarah Jude – dont le nom a été inspiré, expliquera-t-il, par Sarah Jessica Parker, future héroïne de Sex & The City. Deux ans plus tard, il divorce, mais ne perd par franchement au change, puisque sa nouvelle compagne s’appelle Julia Roberts. Les deux stars se sont rencontrées sur le tournage de L’expérience interdite (1990), qui reste peut-être aujourd’hui le film le plus connu de sa carrière de ce côté-ci de l’Atlantique. Alors que les fiançailles ont été célébrées et qu’Hollywood s’enthousiaste autour du couple le plus glamour du moment, Roberts décide d’aller faire un tour en Europe avec Jason Patrick, un bon copain de Sutherland rencontré sur le tournage de The Lost Boys.

L'Expérience interdite, en 1990

Conséquence, ou pas, de ses affres intimes, Kiefer Sutherland débute à cette date une longue traversée du désert. Ses films suivants, à l’exception de Twin Peaks, sont majoritairement des navets à gros budget et à petit scénario. Il décide de décrocher. Pour Young Guns et Young Guns II, des westerns, il a apprit à monter à cheval. Sa participation aux Trois Mousquetaires en 1993 lui ouvre les yeux : il achète quelques chevaux, un ranch dans le Montana, et décide de devenir… champion de rodéo. Un pied à Hollywood, un dans l’Amérique profonde, il se fait discret. A peine remarquera-t-on son second mariage, en 1996. Il ne durera pas. La même année, il dirige son premier film, Truth or Consequences, puis, après un passage par le théâtre, reconquière brièvement l’estime des critiques dans Dark City de Alex Proyas (1998). Seconds rôles après seconds rôles, sa carrière ne parvient cependant toujours pas à décoller. Retour à la case Montana, et cette fois-ci pour de bon. Deux ans durant, entre 1998 et 2000, Kiefer Sutherland disparaît d’Hollywood, et se fait un nom au pays du rodéo, décrochant même le titre national au lasso…

Face à lui-même dans Mirrors, mais fidèle au phrasé de Jack Bauer.

De retour à Los Angeles fin 2000, et de nouveau embarqué dans une série de seconds rôles, il entre en contact avec Stephen Hopkins, réalisateur britannique, futur producteur exécutif et réalisateur de 24, qui lui propose de passer une audition pour le rôle de Jack Bauer. Sutherland, quasiment vierge de tout grand rôle marquant, se glisse parfaitement dans la peau de l’agent anti-terroriste. Dès la première saison, sa performance est applaudie. En 2002, il décroche le Golden Globe du meilleur acteur, mais ce sera seulement quatre ans plus tard, en 2006, qu’il empochera son premier Emmy. Désormais producteur exécutif, engagé pour neufs saisons et un film pour 40 millions de dollars, Kiefer Sutherland est devenu « Monsieur 24 ». Il multiplie les interventions au nom de la série, chez Les Simpson ou dans des pubs japonaises (voir à ce propos la pub Calorie Mate, disponible en ligne). Avec ses millions, il a créé une maison de production musicale, Studio Ironworks, qui produit notamment le songwriter Ron Sexsmith. Guitariste à ses heures perdues, Kiefer Sutherland collectionne les Gibson, et prend sur son rare temps libre pour découvrir de jeunes talents. Côté grand écran, l’heure n’est pas encore à la reconnaissance. Ses rares apparitions sont éclairs, comme dans Phone Game ou Taking Lives, ou sont de très mauvaises imitations de son personnage de Jack Bauer, comme The Sentinel et Mirrors.

Récemment, ce ne sont pourtant pas ses qualités d’acteur ou de producteur qui l’ont propulsé à la une des médias. Alcoolique récidiviste, Sutherland a passé son réveillon et son jour de l’an – ainsi que son anniversaire, il est du 21 décembre – derrière les barreaux. Arrêté ivre au volant en septembre dernier, il a été condamné à 48 jours de prison, qu’il a fait, sans broncher, entre décembre et janvier – la grève des scénaristes le laissant sans obligations professionnelles. Certains expliquent que des scènes de 24 auraient été écrites pour blesser Jack Bauer là où Kiefer Sutherland se serrait coupé ou bagarré après une nuit de beuverie. Le comédien, repenti, ne dément pas l’information. Son image de mauvais garçon toujours collé aux baskets, Sutherland joue malgré lui de cette ambiguïté. Comme Bauer, il se laisse aller, comme Bauer, il collectionne les dérapages. Comme lui, il aura été prisonnier, mais sans les honneurs. Pas facile d’être le sauveur de l’humanité.

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