SYDNEY NEWMAN : Sydney qui ?

01/04/1917 - 30/10/1997

Sydney qui ?

Par Pierre Langlais

Quasi inconnu au bataillon, ce Canadien, décédé il y a tout juste dix ans, a révolutionné la télévision britannique et créé deux séries cultes : "Chapeau melon et bottes de cuir" et "Dr. Who".

Le 30 octobre 1997, Sydney Newman disparaissait à l’âge de 80 ans, emporté par une crise cardiaque. Pourtant décoré quelques années auparavant de l’Ordre du Canada, la plus haute distinction civile du pays, ce natif de Toronto avait depuis les années 70 cessé de faire parler de lui. Les jeunes générations, des deux côtés de l’Atlantique, n’ont, à priori, aucune raison de se souvenir de lui. Son travail devrait pourtant rester dans les mémoires des amateurs de séries comme un des plus importants de l’histoire de la télévision britannique. Sydney Newman aura été, en une grosse dizaine d’années (de 1958 à 1970 précisément), le père de la fiction contemporaine outre-Manche, lançant deux des séries cultes des sujets de Sa Majesté, The Avengers (sobrement traduit Chapeau melon et bottes de cuir en France) et Dr. Who, toujours en production plus de quarante ans après sa création.

Newman, fils de cordonnier, s’est construit tout seul. Curieux de cinéma, proche du peuple et peu enclin à regarder la télé à papa de l’époque, il a rapidement voulu changer le décor du petit écran. Les hasards, les révolutions techniques et culturelles de son temps ont fait le reste. Pas brillant à l’école, renvoyé chez lui à treize ans, il se destine à une carrière de photographe, et paye ses premiers loyers en réalisant des affiches de films. Rapidement sur la paille, il trouve une place d’éditeur à la National Film Board of Canada (NFB), l’équivalant du CNC français. Durant la Seconde Guerre mondiale, il est chargé de monter des documentaires de propagande, et accède au statut de producteur. Mais c’est en 1949 que sa carrière va prendre un tournant décisif. A l’époque, la toute nouvelle industrie de la télévision vient de voir le jour aux États-Unis voisins et il est envoyé, un an durant, en observation auprès de NBC, à New York. Sa connaissance de la fiction est alors "totalement nulle", avouera-t-il plus tard, mais, en 1952, il s’engage auprès de la Canadian Broadcasting Corporation (CBC), le service public de la télé canadienne. Deux ans plus tard, il prend les reines de sa branche fiction. D’abord prudent, Newman commence par engager de jeunes auteurs et réalisateurs, une première révolution à une époque où la télévision n’est guère plus qu’un diffuseur de pièces de théâtres adaptées.

En 1958, ayant eut vent de son esprit d’initiative, la chaîne anglaise Associated British Corporation (ABC), fraîchement née de la création de la télé privée ITV, lui offre l’opportunité de continuer son travail en Grande-Bretagne. C’est là que son projet d’une nouvelle télévision prendra tout son sens. "J’ai trouvé la télévision anglaise très pédante, explique-t-il. Les seules fictions, des adaptations de pièces de théâtre branchouilles, étaient très bourgeoises et condescendantes envers la classe ouvrière." Hors, constate alors Newman, ce sont ces mêmes couches sociales défavorisées qui regardent la télévision, pas celles à qui elle semble s’adresser. D’où une idée simplissime, qui ne s’est depuis jamais démodée : créer une télévision à laquelle Monsieur-tout-le-monde pourra s’identifier, en traitant de sujets grand public. La fiction, elle, devra parler des choses du quotidien.

Dans un premier temps, Newman poursuit la diffusion des pièces de théâtre, faisant appel à de jeunes créateurs, dont un certain Harold Pinter. Dans le même temps, il travaille à l’évolution technique de ses productions. Peu satisfait des règles stylistiques anglaises, qu’il juge plombées par un trop grand statisme, il décide d’introduire des caméras mobiles, parfois subjectives pour mieux, explique-t-il alors, "s’approcher de la liberté du cinéma, et se libérer de la tradition théâtrale qui étouffe la télévision". En 1961, après un échec avec Police Surgeon, il lance une nouvelle série, The Avengers. Le succès est immédiat et lui ouvre, un an plus tard, les portes de la sacro-sainte BBC.

En passant chez l’ennemi, qui tente de stopper une hémorragie d’audimat dont il est lui-même un des artisans, Sydney Newman accepte aussi un salaire plus modeste, bien plus attiré par le défit qui se propose à lui. Comme sur ABC, il impose rapidement de jeunes talents, dont Ken Loach. En 1963, une nouvelle case horaire s’offre à lui, en fin de samedi après-midi. Il s’agit de remplir un vide entre deux des programmes phares de la chaîne, une émission sportive et une musicale. "Il fallait un programme qui puisse plaire à la fois aux fans de sport, adultes, et aux jeunes qui regardaient l’émission musicale", expliquera-t-il quelques années plus tard. Ce programme deviendra une légende de la télévision anglaise : Dr Who.

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